Les logisticiens du froid sont prêts pour les exigences de température extrême des vaccins contre le covid-19. Mais le président de la Chaîne logistique du froid, Jean-Eudes Tesson, estime qu’il leur manque toutes les autres informations pour commencer à travailler. (Image BioNtech / Pixabay)
Alors que la Grande-Bretagne et les États-Unis ont déjà déclenché leurs campagnes de vaccination (lire l’encadré), le gouvernement français a quant à lui, planifié une campagne en 3 grandes étapes qui démarrera en janvier 2021. Ce programme va déclencher un dispositif logistique important, dont beaucoup de paramètres restent inconnus à ce jour. Pour Jean-Eudes Tesson, président de la Chaîne logistique du froid, qui regroupe les acteurs de la filière, le défi le plus important ne réside pas dans les températures parfois extrêmes nécessaires au stockage et au transport des vaccins. Habitués à l’agilité, encore davantage depuis la pandémie, la filière se sent prête, mais ne dispose pas des informations nécessaires pour démarrer. Qu’il s’agisse de la répartition des produits choisis et des températures de transport associées, mais aussi des volumes à transporter, de l’emplacement des points de collecte et du modèle de dispatching, de l’éventuelle participation de l’armée, des règles de sécurité et de sécurité sanitaire appliquées, des réglementations associées… Jean-Eudes Tesson précise les attentes de la filière.
De nombreuses combinaisons de températures possibles
« Pfizer annonce des températures de conservation de ses vaccins à – 80 °C alors que ceux de Moderna ne nécessiteraient que – 20 °C, rappelle le président de la Chaîne logistique du froid. » Celui de Moderna peut même tenir entre 2 et 8 °C pendant 30 jours, et à la température ambiante pendant 12 heures. Et Pfizer a finalement adopté – 70°C. Qui plus est, si Moderna et le duo Pfizer – BioNtech sont les premiers à livrer des produits, plusieurs autres sont sur les rangs, en tête desquels Astrazeneca ou Sanofi. La première difficulté pour les logisticiens en général, et ceux du froid en particulier n’est pas de s’adapter à ces températures de stockage et de transport, mais d’arriver à jongler avec un grand nombre de combinaisons de températures possible pour savoir quels dispositifs mettre en place. « Nous n’avons pas d’idée des volumes ni de leur répartition entre les différents laboratoires, » confirme Jean-Eudes Tesson.
Des techniques maîtrisées
Le froid mécanique classique des entrepôts et des camions frigorifiques descend jusqu’à -35°C. Les produits surgelés sont ainsi stockés et transportés à -20°C, voire -30°C. Nos très attendues bûches glacées, comme toutes les crèmes glacées, le sont à -25°C. « Mais pour des produits comme le poisson cru, le thon rouge, on passe en congélation cryogénique, précise Jean-Eudes Tesson. Avec de l’azote liquide qui descend jusqu’à -170°C, ce n’est plus un problème. Bien sûr, un caisson étanche (comme celui conçu par Pfizer, NDLR) peut être transporté dans un véhicule de transport non frigorifique. Même chose pour le stockage. Mais si l’environnement autour du caisson est déjà à -25°C, cela peut éviter des emballages trop complexes. Il est plus simple de passer de -25°C à -70°C que de la température ambiante à -70°C. » En résumé, même si la France ne dispose pas de capacités importantes de stockage et de transport pour des produits nécessitant de telles températures, des solutions techniques existent, comme « des groupes frigorifiques à très basse température, les groupes cryogéniques de transport sous azote ou encore l’usage de la glace carbonique. »
L’indispensable traçabilité
« Techniquement, on sait transporter à la bonne température, résume ainsi Jean-Eudes Tesson. Et on sait remonter l’information en temps réel et donc la tracer. » La traçabilité des vaccins est une question centrale pour garantir le suivi de la température et le bon état du produit, et identifier une éventuelle responsabilité. Il s’agit de respecter toute la chaîne d’un produit pris à un endroit A jusqu’à sa livraison à un endroit B en respectant toutes les conditions de conservation. Mais la traçabilité importe aussi parce que ce sont des produits chers. « Mais là encore, nous sommes habitués à ce type de contrainte, répond Jean-Eudes Tesson. Quand nous transportons des vins à 1000 euros par bouteille, les camions contiennent 33 palettes entre 600 000 et 700 000 euros l’unité. »
De très nombreuses questions sans réponse
Pour le président de la Chaîne logistique du froid, faire appel ou non au groupage est une autre inconnue, pourtant déterminante pour le choix et l’organisation des moyens de stockage et de transport. La logistique peut par exemple se charger d’emporter les doses de vaccins jusqu’à Marseille et de les distribuer jusque chez les médecins. « Mais ce sera différent si c’est l’État qui dispatche dans des centres où les médecins viennent chercher les vaccins, par exemple » ajoute Jean-Eudes Tesson. Et de lister les très nombreuses questions qui restent encore sans réponse : combien de sites de stockage et de distribution seront nécessaires ? En matière réglementaire, pourra-t-on transporter et stocker les vaccins avec des produits agroalimentaires ? Y aura-t-il des dérogations aux agréments de transport de produit pharmaceutique ? Comment la traçabilité sera-t-elle gérée ? (Faudra-t-il des témoins, par exemple ?) Une garantie de remise en main propre sera-t-elle nécessaire ? Quid de l’équipement des chauffeurs en fonction du conditionnement des vaccins ? Quid des questions d’hygiène bien plus sévères que dans l’agroalimentaire ?
Pas d’inquiétude quant à l’organisation des flux
Quant à l’organisation des flux, rien n’inquiète moins Jean-Eudes Tesson. « Nous sommes une activité de flux, et l’adaptabilité fait partie des contraintes du métier. Quand les restaurants ont fermé, nous avons réorganisé tous les flux d’un dispositif qui était pourtant millimétré, estime-t-il. La logistique des produits périssables demande une organisation beaucoup plus fine que d’autres avec une optimisation des chargements, des rendez-vous… Et pourtant nous avons réussi à tout réorganiser. Et il n’y a eu aucune pénurie de surgelés avec la pandémie.»
Un atout français historique
« Avec 150000 véhicules sous température dirigée – un pour 450 habitants – , la chaîne du froid française est une des meilleures au monde, » s’enorgueillit Jean-Eudes Tesson. Le président de l’association représentative de la filière rappelle en effet que le transport frigorifique a été inventé en France par l’ingénieur normand Charles Tellier. Il a adapté en 1876 un navire fort judicieusement nommé Le Frigorifique, pour rapporter à Rouen de la viande de Buenos Aires. « Le transport de la marée a beaucoup tiré parti de cette technologie, ajoute Jean-Eudes Tessons, et nous sommes aussi le pays qui consomme le plus de surgelé. Enfin, l’Institut International du froid est à Paris. » Pour Jean-Eudes Tesson, le savoir-faire de la filière est incontestable. Autrement dit, elle est prête, mais pour l’instant, faute d’information précises, elle ne peut pas travailler.
Emmanuelle Delsol
Aux États-Unis, pays de 330 millions d’habitants qui vient d’atteindre le terrible décompte de 300 000 décès liés au covid-19, c’est l’armée qui pilote l’opération de vaccination, baptisée Warp Speed (un nom inspiré par la mesure de la vitesse des vaisseaux dans Startrek, NDLR). Dans un premier temps, le vaccin Pfizer-BioNTech sera livré dans près de 800 endroits sur tout le territoire, entre le 14 et le 16 décembre. Pfizer travaille avec UPS et Fedex pour coordonner la livraison des doses de vaccin et des produits comme les seringues ou la glace carbonique pour la conservation.
Le laboratoire américain a mis au point un contenant pour conserver les doses à -70°C pendant 10 jours avec de la glace carbonique. Chaque emballage contient un millier de fioles, soit 5000 doses de vaccin. Les sites réfrigérés peuvent les conserver durant 6 mois, les autres durant 15 jours. En revanche, une fois décongelé, le vaccin se garde au maximum 5 jours entre 2 et 8°C.