La Semaine internationale du transport et de la logistique 2020 est finalement digitale. Lancée le 23 juin, avec des représentants des grandes institutions publiques et privées de la filière, elle a évoqué les grands enjeux de la crise subie durement par ses entreprises et des perspectives d’avenir. Parmi ceux-ci, l’automatisation et la digitalisation ont une place de choix.

Le 23 juin 2020, la SITL (Semaine internationale du transport et de la logistique) a ouvert pour la première fois de son histoire, ses portes virtuelles. À 10h, c’est néanmoins une séance plénière en bonne et due forme qui a inauguré l’événement, avec les représentants officiels de la filière et des patrons d’acteurs emblématiques. Malgré quelques inévitables aléas de son, d’image, voire de connexion pour un Secrétaire d’Etat au transport bloqué par un firewall un brin rigide, l’événement a démarré sur les chapeaux de roue. Après quelques moments d’autocongratulation pardonnables dans la crise actuelle, les grands enjeux d’avenir, parmi lesquels la digitalisation et l’automatisation, ont posé les bases de l’événement, mais aussi de l’avenir du secteur.

Dans un damier désormais usuel de visioconférence, Xavier Bertrand, président de la Région Hauts-de-France, Anne-Marie Idrac, présidente de France Logistique, Henri Le Gouis, DG de Bolloré Logistics Europe, Luc NADAL, DG de Gefco, Jos de Vuyst, CEO de Stow et président de la Fédération européenne de la manutention ont partagé l’état des lieux du secteur et leur point de vue sur son évolution. Tous ont salué la mobilisation, la résilience et l’agilité des équipes durant la crise. « Notre raison d’être dans la logistique, a affirmé Luc Nadal de Gefco, c’est d’assurer la supply chain par petit temps, comme par gros temps. La crise actuelle, c’est le gros temps, et c’est une crise mondiale. Mais ces dernières années nous n’avons finalement fait que subir une succession de crises avec les gilets jaunes, les grèves SNCF, etc.»

Ne pas oublier trop vite cette « 2e ligne » qui a répondu présent

Leurs métiers ont été sur le devant de la scène, pour assurer l’approvisionnement des Français, des entreprises qui ont continué de travailler, des organismes de santé, etc. « Il n’y a jamais eu de pénurie sur les biens, a rappelé Xavier Bertrand. Sinon, la crise aurait été encore plus dure. Tout le secteur de la logistique, les « 2e ligne », a répondu présent. Il faut en tirer les enseignements. » Aujourd’hui, la filière a envie de s’exprimer et d’agir pour que cette reconnaissance ne soit aussi vite oubliée qu’elle a surgi. Le syndrome des applaudissements au balcon, en quelques sortes. « D’un côté, le secteur qui a tant de mal à se faire reconnaître l’a finalement été durant le confinement, estime Anne-Marie Idrac. Mais d’un autre côté, les entreprises ont directement et durement subi l’impact de la crise chez leurs clients. »

Anne-Marie Idrac, présidente de France Logistique

Automatisation et digitalisation, au cœur des enjeux d’avenir

Les activités portuaire et aéroportuaire, le ferroviaire, les enjeux de massification des transports ou le verdissement de la route, la nécessité de changer certaines réglementations, ont été autant de sujets abordés. Qu’ils aient déjà été sensibles avant la crise ou pas, tous sont encore l’objet d’âpres discussions. Mais bien entendu, il est un enjeu qui, comme dans toute l’économie, a occupé le devant de la scène et va perdure, et c’est la digitalisation et son accélération. Elle a soutenu le maintien de l’activité par le télétravail, mais aussi l’agilité de la plupart des acteurs dans cette période de turbulence. Tous les intervenants l’ont affirmé, il ne faut pas la confondre avec une automatisation généralisée, si l’on en croit les intervenants. « La crise a montré qu’il fallait poursuivre la digitalisation, a affirmé Henri Le Gouis de Bolloré, mais il ne faut surtout pas sous-estimer l’engagement de terrain. »

Une automatisation qui ne détruit pas d’emplois, mais en crée de nouveaux

Pour Jos de Vuyst de Stow, fabricant de solutions de stockage de marchandises, le covid-19 a renforcé deux grandes tendances avec un fort impact pour tout le monde : le e-commerce et l’automatisation des centres de distribution. « De nombreux logisticiens dans toute l’Europe voulaient déjà automatiser leurs magasins, à cause de l’indisponibilité du personnel, précise-t-il. Il faut créer un cadre de travail flexible pour suivre la tendance du e-commerce qui travaille 24h sur 24, 7 jours sur 7 toute l’année.  Et cela passe par l’automatisation comme aux Pays-Bas ou en Allemagne. » Une automatisation qui selon le CEO de Stow, rime non pas avec moins d’emplois, mais avec un autre type d’emploi.

Xavier Bertrand, président des Hauts-de-France

Une affirmation polémique à laquelle Xavier Bertrand a tenu à réagir : « je n’ai aucun problème avec la digitalisation de cette industrie, a-t-il affirmé. Mais il faut beaucoup de pédagogie pour expliquer que les machines ne remplaceront pas les hommes, mais que ceux-ci occuperont d’autres emplois. Sans quoi, cela sera très compliqué à mettre en place ! » Pour Henri Le Gouis de Bolloré, « la filière a besoin de soutien pour passer les prochains mois et ne doit pas rater le virage technologique de l’automatisation, initié par l’Europe du nord qui a fait face, comme la France aujourd’hui, à une pénurie de chauffeurs et de manutentionnaires. » Entre pression économique et concurrentielle, d’un côté, crainte pour l’emploi de l’autre, l’automatisation reste un sujet de débat non tranché.

Quid d’une plateforme de données ouverte et partagée pour le suivi de colis ?

Pour ce qui est de la digitalisation de la filière, se pose en particulier la question d’une plateforme de données ouverte et partagée entre tous les opérateurs. Un sujet central qui divise les intervenants. Luc Nadal de Gefco se dit peu enthousiaste en tant que citoyen vis-à-vis d’un e-commerce qui laisse tout le monde devant son écran en télétravail et vide le cœur des villes. « Mais pour ce qui est d’une plateforme unique de suivi de colis, nous avons un vrai enjeu de traçabilité. D’abord parce que personne dans la filière n’arrive à bien gérer ce sujet. Mais aussi parce que tous les acteurs sous-traitent à des milliers de transporteurs, petits et grands. Plutôt qu’un giga système, c’est d’un dispositif unique pour se connecter et suivre les colis dont nous avons besoin. » Anne-Marie Idrac préfère, elle, une meilleure interface entre les données des uns et des autres, et une plus grande homogénéité en Europe, plutôt qu’un acteur dominant ou un nouveau monstre administratif. « La plateforme unique, et surtout omnicanale, est un enjeu clé de compétitivité, ajoute enfin Henri Le Gouis de Bolloré, mais c’est aussi un levier d’attractivité des talents ! »

La digitalisation de la filière, priorité franco-allemande

Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’Etat aux transports

Enfin, dans son intervention, à la suite de cette table ronde, Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’état auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports, a rappelé que la France et l’Allemagne ont imaginé 3 grands axes pour la filière dans l’Union européenne. La digitalisation en fait partie, avec l’aéronautique et l’automobile, et le fret ferroviaire. Des éléments qui devraient être évoqués dans le prochain comité interministériel de la logistique (Cilog), présidé par l’actuel ou le prochain Premier ministre, après les élections municipales.

Emmanuelle Delsol