Amazon a accueilli Enjeux Logistiques dans son plus grand entrepôt en France, à Brétigny-sur-Orge, ouvert fin 2019. Dans cette usine d’approvisionnement et de préparation de commandes de 152 000 m2 se croisent 3 000 employés et 2 000 robots. Les machines dopent l’efficacité en apportant directement les marchandises aux opérateurs. Sous le feu de critiques constantes, le géant du e-commerce dévoile un peu de ce back-office logistique, clé de sa réussite. (Photos E.Delsol)
Pas de doute, Amazon est l’un des grands gagnants de la pandémie. Fin septembre, il affichait déjà 260,5 milliards de dollars de CA (220 Md€) en neuf mois, dont 88% provenant du commerce. Selon BuyShares, il est le cinquième site le plus visité au monde et le premier en e-commerce avec 5,2 milliards de visites mensuelles. Les confinements ont précipité les consommateurs, même les plus réticents, vers les achats en ligne. Avant la crise, selon Kantar Worldpanel, Amazon représentait déjà plus de 22% du marché du e-commerce en France. Sans doute le résultat d’une de ses obsessions : l’efficacité de sa logistique.
La machine tourne 7j/7 24h/24
Quelques semaines avant le rush de fin d’année et avant la deuxième vague de Covid-19, Stéphane Taillée, directeur de l’entrepôt de Brétigny-sur-Orge, a ouvert ses portes à Enjeux Logistiques. L’ancien responsable du site de Saran (Loiret) s’est vu confier à son ouverture fin octobre 2019, le plus grand espace d’approvisionnement et de préparation de commandes Amazon en France et le premier équipé de robots dans l’Hexagone. Il occupe 31 ha sur une ancienne base aérienne, à proximité de l’autoroute A6 et de l’aéroport d’Orly.
Une fois l’étroite entrée encombrée de bacs noirs vides et le poste de sécurité passés, on débouche sur le premier niveau qui est à l’échelle du géant de Seattle : 152 000 m2 sur trois niveaux. Covid oblige, tout le monde porte des masques et dispose de gel à portée de main. Amazon a même commandé à la start-up toulousaine Masque Inclusif des masques transparents pour ses employés sourds et malentendants. Des écrans et des affiches rappellent en permanence les mesures barrières à observer. Dans la salle de restauration, les tables sont installées à distance les unes des autres, et des lingettes sont à disposition. Dans les allées, comme dans les escaliers, personne ne se croise. Des sens de circulation sont indiqués au sol. La distanciation entre deux employés est de 2 mètres. Des capteurs de température sont installés à l’entrée du site.
Sur la gauche, une cantine aux dimensions impressionnantes. Sur la droite, des bureaux qui accueillent les équipes administratives. Parmi elles, les RH, présentes en équipes de nuit et de week-end, en alternance. La machine tourne 7j/7 24h/24 ! Le rez-de-chaussée est réservé aux approvisionnements, à l’emballage et l’expédition.
Un ballet constant d’étagères juchées sur des robots
Au centre, derrière une grille sécurisée, un étrange ballet. De hautes étagères jaunes se déplacent seules et se croisent sans jamais se heurter dans un léger bruit caractéristique des moteurs électriques. Ces racks sont en réalité juchés sur des AGV (automated guide vehicle) plats et orange made in Amazon Robotics. Le géant les a rachetés en 2012 à un des pionniers du domaine, Kiva. Ces 2000 robots suivent une trajectoire dictée par les algorithmes d’Amazon et évitent les obstacles grâce à des capteurs et caméras à l’avant et sous leur carcasse.
Dans une logique goods-to-men, ces étagères viennent aux opérateurs, et non l’inverse. Les postes de travail des employés sont installés tout autour de la zone grillagée réservée aux robots et sont de deux types. D’abord les Universal Station pour l’approvisionnement des stocks. Les opérateurs rentrent les produits arrivés à l’entrepôt et signalés à l’écran, dans les cases d’étagères apportées vides par les robots. Amazon ne dévoile rien des algorithmes qui organisent cette répartition des produits. Le logiciel indique en effet à l’opérateur les articles à déposer dans la bonne case de l’étagère en fonction de nombreux facteurs, dont la période de l’année ou l’arrivée d’un article au succès anticipé, par exemple. « Quand la dernière Playstation arrive, c’est facile, s’amuse Stéphane Taillée. Il suffit de mettre en place une nouvelle ligne ! Mais notre activité requiert beaucoup d’agilité, donc des outils faciles à appréhender et des employés polyvalents. Ce qui est non maîtrisé, c’est par exemple le Covid-19, bien sûr. Au début, nous ne vendions plus que des cartouches d’imprimante, du papier et des crayons de couleur pour les enfants.»
Rien que du logiciel maison
Les préparateurs de commandes, eux, disposent de stations Arsaw (Amazon Robotics Semi-Automatic Workstation). Ils collectent et scannent dans des étagères pleines cette fois, les articles indiqués par le logiciel. « Dans les anciens sites, il fallait apprendre à se repérer, explique Stéphane Taillée. Aujourd’hui, le logiciel propose des aides visuelles, un numéro de case, un éclairage spécifique. » Les entrepôts Amazon ont un avantage indéniable sur d’autres : ils appartiennent à un géant du e-commerce et du numérique à fois. Ils n’exploitent que des technologies maison. Et pas seulement les robots. « À l’exception de Microsoft Office, tous nos logiciels sont conçus en interne, confirme Stéphane Taillée. Cela permet de les modifier du jour au lendemain. Plus globalement, tous les sites logistiques d’une même génération disposent des mêmes outils. »
Une fois les commandes préparées dans les bacs, d’autres employés les récupèrent et les transportent sur des chariots vers les lignes d’emballage. « Pour préserver nos employés, aucun article ne pèse plus de 12 kg et aucun bac ne contient plus de 15kg, précise Stéphane Taillée. Les produits les plus volumineux ont environ la taille d’une petite machine à expresso. » Autre mesure de protection de ses salariés, la zone d’évolutions des robots est protégée par un grillage fermé. Pas question d’y pénétrer. Si un opérateur doit néanmoins ramasser un article tombé ou un technicien intervenir, il indique au logiciel de pilotage des robots le trajet qu’il va emprunter et revêt un gilet de sécurité. Celui-ci émet des impulsions radio reconnues par les robots qui vont alors ralentir ou s’arrêter.
Une surface de stockage réduite de 40%
Si Amazon robotise un entrepôt comme celui-ci, c’est d’abord pour en améliorer la productivité, même s’il ne donne aucun chiffre. Les tâches de stockage, déstockage, organisation des marchandises sont automatisées. Indispensable pour répondre aux exigences de livraison parfois en moins de 24h. Pour Stéphane Taillée, c’est le bénéfice de l’automatisation venu de l’industrie automobile qui arrive dans la logistique, pour servir les clients. Mais Amazon estime aussi à 40% le gain en espace de stockage à Brétigny-sur-Orge. Plus besoin d’allées de circulation pour les humains dans cette zone. Seuls les robots vont et viennent et se glissent sous les étagères pour les transporter. L’entrepôt stocke ainsi près de 20 millions de produits (50% proposés par Amazon, 50% par des vendeurs hébergés) sur près de la moitié de la surface du site sur deux niveaux. Qu’ils véhiculent des bacs, des plateaux ou des racks, ces systèmes goods-to-men comme il en existe aussi chez le Britannique Ocado ou les Français Exotec et Scallog sont de plus en plus prisés par l’intralogistique. Des robots pour remplacer les femmes et les hommes ? Alexis Brianceau, DRH du site de Saran estime que la robotique aide l’employé, mais ne le remplace pas. « On accélère le flux et on optimise l’entreposage, mais les collaborateurs n’ont plus besoin de courir en permanence, juge-t-il. À Brétigny-sur-Orge, la robotisation a permis de quasiment diviser l’espace de stockage par deux, mais toute la préparation de commande, l’expédition, la réception sont réalisées par des employés. Ce sont des sites qui ont besoin de beaucoup d’humains. »
Deux tiers d’intérimaires pour gérer les pics
« La plupart des employés sont des agents logistiques polyvalents capables de travailler au prélèvement des stocks, à la remise en stock, à la réception de marchandise, à l’emballage, etc., précise Stéphane Taillée. Nous embauchons tout type de profils, y compris des personnes très éloignées de l’emploi. Nos logiciels sont volontairement très simples d’utilisation, et ne nécessitent pas de longues formations. » En rythme de croisière, l’entrepôt emploie quelque 3000 personnes, dont un millier de CDI. Dans les périodes de pics, l’effectif grimpe à 3500, voire 4000. « Au dernier trimestre, nous devrions avoir 750 CDI supplémentaires, précise le directeur. Un des premiers viviers d’emploi est la conversion des intérims en CDI. » L’été par exemple, des intérimaires sont formés pour remplacer environ 25% d’employés en congé, sans grossir l’effectif. Au retour des vacances, les intérimaires formés sont susceptibles de devenir des CDI pour gérer les pics de la rentrée, du Black Friday ou des fêtes de fin d’année.
Emmanuelle Delsol