Depuis 2017, Leroy Merlin a mis en place une stratégie de transport durable qui lui vaut le trophée de la meilleure progression au rendez-vous au transport et de la logistique écoresponsable 2020. En 3 ans, il a déployé 7 entrepôts régionaux, sourcé des transporteurs durables, optimisé les flux dans toute la France et finalement réduit de près de 19% ses émissions de GES. Nicolas Davril, directeur logistique, a confié à Enjeux Logistiques les détails de cette progression. (photo Leroy Merlin)
Lors du rendez-vous du transport et de la logistique écoresponsable 2020, Leroy Merlin a remporté le trophée de la meilleure progression pour un chargeur. Il a en effet réduit ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 18,6% entre 2017 et 2019, dépassant l’objectif de 15% qu’il s’était fixé. Cette progression n’est qu’un des éléments d’une politique plus globale de logistique durable chez le distributeur. Nicolas Davril, son directeur transport, a partagé sa démarche et sa stratégie avec Enjeux Logistiques, ainsi que ses premiers résultats.
En 2016, pour calculer ses émissions de CO2 et identifier les actions à mettre en œuvre pour devenir plus durable, Leroy Merlin a signé la charte Fret21, créée en 2015. Celle-ci incite les donneurs d’ordres des transporteurs (chargeurs) à « mieux intégrer l’impact des transports dans leur stratégie de développement durable » en s’engageant auprès de l’agence de la transition écologique (Ademe) sur un objectif précis de réduction des émissions de GES liées au transport. « Fret21 nous aide à structurer notre démarche en identifiant les actions à réaliser autour du rail-route, de l’augmentation du nombre d’entrepôts, du taux de remplissage des camions, du choix des transporteurs, explique ainsi Nicolas Davril. Et à chaque fois, en calculant le bénéfice en réduction de GES. » Par ailleurs, la direction transport a défini un plan à 3 ans sur 3 piliers : la performance, le delivery (la capacité à répondre au besoin) et la RSE (responsabilité sociale et environnementale). Elle prend toutes ses décisions en tenant compte de ces 3 prismes.
– Baisse de 25% du nombre de km moyen parcourus par la marchandise, soit 7,5 millions de km économisés par an.
– Ouverture de 7 entrepôts régionaux en 3 ans à l’origine de 54% des gains d’émissions de GES, soit près de 7400 tonnes d’eqCO2.
– Plus de 396 000 palettes livrées par 13 000 camions complets de 25 palettes en 2019
– 50% de livraisons régionales effectuées avec des camions au gaz naturel compressé, résultant en une réduction de 15% des émissions de CO2, de 98% des émissions de particules fines et de 30% du bruit.
– 85 véhicules roulant au gaz naturel compressé, chez des 40 transporteurs référencés
Pour décliner en actions concrètes sa stratégie de réduction de GES tout respectant ces trois piliers, Leroy Merlin a commencé par totalement changer son organisation logistique. Il a installé 7 entrepôts régionaux de routage et préparation de commande, et mis en place un maillage du transport vers les magasins. Avant 2017, chaque fournisseur de l’enseigne livrait directement une palette dans chacun des 140 magasins. Désormais, elles sont consolidées et c’est un camion complet de marchandises qu’il livre aux plates-formes régionales Leroy Merlin. Celles-ci préparent les commandes puis livrent à leur tour les magasins. « En dehors de son impact environnemental, précise Nicolas Davril, l’ancien modèle nous empêchait de maîtriser la qualité de service et le respect les délais et générait des coûts importants. »
7,5 millions de kilomètres économisés par an
Pour le directeur transport, la démarche résout clairement ces problèmes, mais elle entraîne aussi Leroy Merlin dans un cercle vertueux. « Les entrepôts sont plus proches des magasins et nous augmentons la volumétrie pour chaque trajet, optimisant ainsi le remplissage des véhicules. Nous avons directement repris en main la moitié des livraisons aux magasins, et nous les réalisons avec 85 véhicules roulant au gaz naturel compressé. En 2017, nous n’en utilisions pas un seul !» Les marchandises parcourent en moyenne 25% de kilomètres en moins par an, soit 7,5 millions de km. Résultat, une chute de 15% des émissions de CO2 et de 98% des émissions de particules fines. Sans oublier une réduction du bruit de 30%. La mise en place de ces plates-formes est responsable de 54% des gains d’émissions de GES, soit près de 7400 tonnes d’eqCO2. En 2019, plus de 396 000 palettes livrées par 13 000 camions complets de 25 palettes.
Optimiser la localisation des entrepôts
« Pour optimiser les trajets, le positionnement des entrepôts est simplement barycentrique, précise Nicolas Davril. Il s’agit de parcourir le moins de kilomètres possible en amont et en aval du magasin. Nous allons par exemple ouvrir un site à Lunéville (Meurthe-et-Moselle) l’an prochain pour passer à un kilométrage quotidien moyen inférieur à 500 km. L’entrepôt historique de Chalons-en-Champagne qui livrait historiquement Paris, le Centre et l’Est de la France, n’était plus suffisamment bien placé avec l’ouverture de l’entrepôt parisien. Nous avons aussi repositionné le site du Sud-Ouest de 80 km au sud à 60 km au nord de Toulouse pour livrer aussi bien Agen, Montauban que Bordeaux, sans dépasser la moyenne de 600 km. »
Enfin, ces entrepôts régionaux pratiquent la préparation de commande pour organiser les palettes le plus près possible des magasins. Comme la plupart des logisticiens ou chargeurs dotés d’entrepôts, Leroy Merlin mise sur l’automatisation. « Dans notre entrepôt parisien, nous allons automatiser la préparation de commandes autant à destination les magasins que du e-commerce. Nous utiliserons des navettes, par exemple. Le dispositif sera opérationnel au second semestre 2021. »
Des transporteurs avec des véhicules au gaz
Pour parfaire son organisation, Leroy Merlin a référencé 40 partenaires capables de combiner flux de transport amont et aval, et ainsi d’optimiser le taux de chargement des camions. Un véhicule qui vient de livrer un magasin peut par exemple directement partir enlever un chargement chez un fournisseur proche pour livrer de nouveau l’entrepôt. En 2019, 600 000 kms ont ainsi été économisés. « Nous leur demandons par ailleurs systématiquement d’utiliser des véhicules au gaz naturel compressé, ajoute Nicolas Davril. Nous prenons le surcoût de cette transition en charge, donc pour l’instant nous leur demandons l’exclusivité. Nous les orientons aussi vers la charte Objectif CO2 destinée aux transporteurs, pour la réduction des émissions de GES. En 2017, seule la moitié de nos prestataires étaient labellisés. Aujourd’hui ils sont 93%. » Nicolas Davril précise que la plupart de ceux qui ne le sont pas encore ont surtout pris du retard avec la pandémie. L’appel d’offres a été mené conjointement avec Weldom, autre enseigne du groupe Adeo qui détient Leroy Merlin.
L’intégration du modèle rail-route
Mais le distributeur identifie aussi les transporteurs capables de gérer du transport sur rail. Il investit en effet dans d’autres modes de transport, comme la combinaison rail-route. En 2019, il a enlevé ainsi quelque 80 000 tonnes de marchandises chez ses fournisseurs – environ 15 à 20% du total. « Le mode fluvial reste compliqué en revanche pour la livraison au détail en magasin pour des questions de délai, rappelle Nicolas Davril. C’est plutôt un mode de transport pris en charge par le groupe Adeo, pour l’import de vrac, de conteneurs depuis le Havre ou Anvers, par exemple. Même si notre entrepôt de Valence est néanmoins livré par barge depuis Marseille. »
Reverse emballage, recyclage de palettes, etc.
Les entrepôts régionaux sont aujourd’hui la base du schéma directeur pour une logistique durable chez le distributeur. « Ces entrepôts proches des magasins nous autorisent à pratiquer le reverse emballage, raconte Nicolas Davril. Avant, nous avions des palettes à dosseret en bois pour transporter des portes, par exemple, que les magasins jetaient une fois reçues. Nous avons investi dans des modèles métalliques réutilisables durant 4 à 5 ans. Et nous économisons ainsi 1,5 ha de forêt. »
Leroy Merlin travaille aussi avec la startup Opalean qui a développé des algorithmes de gestion en temps réel du pilotage du compteur de palettes en Europe. Elles peuvent ainsi être réorganisées entre les entrepôts en cas de besoin. « Nous utilisons Magic Pallets, une sorte de Bon Coin de petites annonces de vente et achat de palettes entre chargeurs ou transporteurs » ajoute Nicolas Davril.
Un cercle vertueux tout au long de la chaîne logistique
« C’est vraiment une roue vertueuse, se réjouit-il. Une fois qu’on a posé la première pierre, on crée de la valeur dans toute la chaîne. L’ouverture des entrepôts nous permet d’augmenter la volumétrie, donc de nous rapprocher du client, d’utiliser des camions au gaz, de pratiquer la reverse logistique (stock proche du magasin), de faire du transport engagé… Nous avons même acheté, pour le remorquage sur site, 7 tracteurs de cour électriques qui réduisent de 100 000 litres notre consommation annuelle de gazole. »
Le projet représente 3 années de travail de l’équipe transport. Et les camions au gaz, le rail-route, les tracteurs de cour électriques augmentent les coûts. Mais Nicolas Davril ne regrette pas, et tranche : « c’est un choix pour le respect de la planète. Nous trouverons des moyens de moins dépenser ailleurs. Cette démarche implique forcément des compromis. » Et d’ajouter, plein d’optimisme « Aujourd’hui, un transporteur que nous avons poussé à se doter de 2, puis 3 puis 4 camions au gaz, constate que c’est un achat très vertueux. Le prix du gaz n’évolue pas. Il n’y a aucun problème de maintenance… Nous avons fait bouger ce transporteur, ça en influence d’autres. Et nous faisons bouger le marché ! »
Emmanuelle Delsol