Depuis 2017, le grossiste informatique Tech Data cherche à rationaliser son organisation, résultat de l’intégration de nombreuses sociétés au fil des ans. En France, il adopte progressivement la démarche d’amélioration continue de la méthode lean, et il forme ses collaborateurs à ces outils et aux métiers transformés par le digital. (Photo Tech Data)
Tech Data est l’héritier d’une longue histoire d’acquisitions successives qui a induit une organisation complexe. En 2017, le distributeur informatique américain a donc décidé de rationaliser sa stratégie en adoptant une organisation simple en deux pôles. Tech Data Endpoint Solutions s’occupe de l’activité de grossiste généraliste pour les PC, les mobiles, les périphériques, les logiciels et l’électronique grand public, et Tech Data Advanced Solutions de la distribution à valeur ajoutée des serveurs, équipements de réseau et de stockage, etc. Mais pour optimiser son fonctionnement, la filiale française a par ailleurs mis progressivement en place une démarche Lean, d’amélioration continue. Pilotée par le directeur des opérations sales et marketing, Pascal Oualid, elle est aussi menée à bien par un duo de convaincus : le DRH, Laurent Parpet et le directeur logistique, Cédric Derville. Déjà certifié Black Belt en Lean, ce dernier dirige une activité cruciale pour Tech Data, mais complexe, qui est devenue le terrain d’expérimentation de la méthode.
Né dans l’industrie et très prisé par elle, le Lean vise à rendre une organisation plus efficace en fixant des objectifs simples et atteignables d’amélioration continue. Couplé avec le Kaizen, il s’attache aussi à éliminer des sources de gaspillage comme les temps d’attente ou le surstockage. Au cœur de la démarche, la responsabilisation des équipes. Chaque collaborateur est à même d’identifier un problème et de proposer une solution. Par ailleurs, chacun est encouragé à ne pas reporter les problèmes sur les autres entités, mais à faire évoluer son mode de travail. Pour un employé de la logistique par exemple, pas question de blâmer le commerce, les achats ou même les clients, ni le processus en tant que tel. « Pour cela, nous prenons le temps d’expliquer le fonctionnement de l’organisation dans son ensemble aux employés pour qu’ils maîtrisent les conséquences de leur travail sur celle-ci, explique Cédric Derville. Et qu’ils aient conscience de ce qui vient avant et après eux. » Pour Laurent Parpet, la méthode Lean permet aussi de valoriser les collaborateurs, puisque chacun peut apporter des améliorations à son environnement de travail. « On considère ainsi tous les employés non seulement comme des bras, mais aussi comme des cerveaux. Qui plus est, quand on fait appel de cette façon à l’intelligence des personnes, on favorise leur engagement, » explique le DRH, pragmatique. Pour Cédric Derville et Laurent Parpet, ces méthodes sont ainsi également des outils de motivation et d’engagement des équipes. « Ces petites avancées en continu apparaissent comme des victoires directement visibles par les équipes. Et cela donne envie d’avancer. » Chez Tech Data, l’empilement de processus installés au fil des acquisitions de sociétés « rendait le travail difficile, voire douloureux, se souvient son DRH France. Il fallait remettre de l’ordre, et impulser une culture plus unifiée. » La filiale française a donc opté pour l’amélioration continue pour que progressivement les différentes fonctions de l’entreprise s’entendent et travaillent ensemble. « Les processus et le changement de culture, ce sont des hommes, poursuit Laurent Parpet. Tech Data France fonctionnait déjà comme ça, c’était un terreau favorable. »
La logistique chez Tech Data, terrain de jeu idéal
En 2019, le grossiste a décidé de démarrer cette transformation au sein son entrepôt de Bussy-Saint-Georges (Seine-et-Marne). C’est la spécificité de sa logistique qui a motivé le choix de Tech Data. Pour commencer, le distributeur promet une livraison le lendemain de la commande, ce qui impose d’allier agilité et rapidité, quelles que soient les marchandises. Mais surtout, la nature même de cette fonction, au cœur de l’activité de l’États-Unien, est une bonne raison de rechercher son optimisation en priorité. Son directeur, Cédric Derville cite le directeur général d’Endpoint Solutions France, Antonin Martino qui qualifie de « salades de luxe » les commandes qu’il traite. Extrêmement périssables, car composées de produits high-tech vite obsolètes, elles ont aussi une valeur très élevée. « C’est un gros enjeu de réception, de stockage, d’expédition, de livraison, insiste le directeur logistique. Cela implique de nombreux protocoles dès l’arrivage. » Des caméras filment tout, par exemple, de bout en bout, de l’arrivée des produits jusqu’à l’emballage. Le parcours et la formation de Cédric Derville et Laurent Parpet ont parachevé la motivation de tester la démarche dans l’entrepôt. « Quand Cédric Derville est arrivé en 2017, nous nous sommes tout de suite trouvés sur la même longueur d’onde, raconte le DRH, qui avait déjà commencé à travailler sur le passage en Lean de Tech Data. » Le directeur logistique avait en effet à son actif son expérience de l’industrie automobile et sa certification Black Belt 6sigma, le plus haut niveau de formation sur le sujet. Le DRH avait quant à lui participé au déploiement du Lean chez l’Allemand Kuehne+Nagel.
L’entrepôt français de Tech Data est un terrain de jeu imposant. Le grossiste états-unien a choisi de n’avoir qu’une seule grande plateforme logistique par région qu’il dessert et Bussy-Saint-Georges est la plus importante du groupe. Elle dispose de 48 000 m2 de stockages pour 20 000 références et gère 4 000 à 6000 commandes par jour contenant entre 7 000 et 14 000 références. Elle accueille entre 130 et 200 salariés en fonction des saisons sur un effectif total de 735 chez Tech Data France. Parcouru par 3,6 km de convoyeurs, le site n’est pas encore robotisé. Mais Tech Data France étudie des équipements tels ceux des Français Exotec Solutions ou Scallog pour une mise en place en 2021 et 2022. La solution devra être européenne et compatible avec la version Extended Warehouse Management de SAP que le grossiste déploie. La plateforme dispose d’une localisation particulière puisqu’elle est installée au siège de la filiale, avec la direction générale, les services commerciaux, marketing, ressources humaines, juridique, etc. « Les intérimaires peuvent tout à fait y croiser le PDG, » précise ainsi Cédric Derville. Un élément important, puisque la compréhension de l’entreprise et la capacité de collaboration sont au cœur de la démarche Lean. Bussy-Saint-Georges gère, uniquement pour la France, la distribution des grandes marques, des produits B2B et d’une partie du e-commerce provenant aussi bien d’Endpoint Solutions que d’Advanced Solutions.
Une formation sur mesure
« Le Lean, c’est le lien le plus court entre la demande du client et l’exécution de sa commande, résume Cédric Derville. S’il veut 100 unités, on va tout faire pour produire – dans le cas de l’industrie- et livrer 100. Au-delà, ce serait inutile, car non facturable. » Pour cette raison, la méthode est souvent associée à la réduction des coûts, mais aussi des effectifs. Une question d’interprétation plus que de réalité, si l’on en croit Tech Data. « Nous avons beaucoup capitalisé sur l’humain sur le site, raconte Cédric Derville. C’est aussi dans notre intérêt ! Avec la même masse d’énergie, si je dépense beaucoup sur les collaborateurs, j’ai une amélioration continue et donc moins de gaspillage. Cela vaut vraiment la peine de donner au moins un vernis de cette culture à des chefs d’équipes qui n’ont souvent même pas le baccalauréat. » Fort de sa propre certification, Cédric Derville a ainsi proposé à 12 managers de ses équipes de suivre une formation. 16 chefs d’équipe sont déjà certifiés Green Belt et 14 autres le seront en mai 2021. Quatre, enfin, ont obtenu la certification Black Belt. « Les Green Belt sont des managers de proximité et les Black Belt plutôt des coachs qui les accompagnent ». L’entreprise a bâti un cursus de 6 jours avec la société de formation hightech Global Knowledge qui aborde les différentes composantes de la méthode, et surtout leur application concrète pour Tech Data. Et l’objectif est bien de former aussi des managers des directions commerciale, marketing ou finance, dans toute l’entreprise. Le grossiste a d’ailleurs choisi de mélanger les profils. Durant certaines sessions, les équipes logistiques ont ainsi côtoyé celles de la satisfaction client.
D’un point de vue pratique, il a fallu équiper les opérateurs de l’entrepôt qui pour la plupart ne travaillent pas sur PC. Tech Data a mis en place des postes dans des bulles isolées. « Les employés se forment en ligne dans un environnement serein et non au milieu des quais et des palettes, insiste Laurent Parpet. Mais ils peuvent également se connecter à leur espace Workday, répondre aux enquêtes, consulter le magazine digital. C’est d’ailleurs également une façon de mieux les intégrer. » Reste que 20 à 30% des effectifs de l’entrepôt de Bussy-Saint-Georges sont des intérimaires. Un classique de la distribution, pour s’adapter à la fluctuation saisonnière de l’activité. Mais comment inclure cette population par essence passagère dans un projet d’évolution de la culture de l’entreprise ? Pour Laurent Parpet, ce n’est cependant pas un obstacle à la réussite de l’amélioration continue. « Pour commencer, nous transformons une partie des intérimaires en CDI. Par ailleurs, une fois que l’organisation est rompue à l’utilisation de la démarche, ils en deviennent les témoins et y adhèrent. Et quand nous les recrutons, nous cherchons aussi cet état d’esprit. »
Un tableau de questions-réponses à l’entrée de l’entrepôt
Depuis le démarrage du projet, Tech Data a déjà mis en place des initiatives dans son entrepôt. Ainsi, selon le grossiste, chaque matin, les employés perdaient une trentaine de minutes chacun pour s’équiper correctement pour l’opération de « picking », la collecte des articles pour la préparation de commandes. Le scanner pouvait tout simplement faire défaut ou sa batterie être vide. L’idée d’une étagère avec les matériels rangés par nom et des batteries rechargées chaque soir a résolu le problème. Cédric Derville a quant à lui installé mi-2020, un grand tableau blanc à la sortie de l’entrepôt, avec deux colonnes. À gauche, « Votre question, proposition ou idées », à droite, « réponse direction ». Une initiative qui peut interroger sur son caractère «gadget » proche des boîtes à inefficaces idées des années 80. « Au contraire, c’est un anti-boîte à idées, se défend le directeur logistique. Cela demande une relation de confiance et du courage managérial. Nous n’avons aucun tabou. » Outre la résolution de problèmes du quotidien, des réponses à des questions administratives ou de gestion des ressources humaines, par exemple, le panneau s’est révélé un bon moyen pour désamorcer les rumeurs. À la grande surprise de la direction, un employé s’est ainsi interrogé sur la date de déménagement de l’entreprise. L’occasion pour le management de préciser qu’aucune décision de la sorte n’avait jamais été envisagée ! Pour Cédric Derville, « la dynamique du Lean suit par nature le sens « bottom-up », et son premier effet est donc managérial. » Il évoque un climat social amélioré et un sentiment d’écoute aussi bien du côté des collaborateurs que des managers. Quant à la mesure de réussite de la démarche, le directeur logistique indique avoir le taux d’erreur dans la préparation de commandes le plus faible des neuf plateformes européennes de Tech Data. Parmi ces dernières, le site français affiche par ailleurs la productivité la plus importante avec un écart de 20% par rapport à la deuxième.
« L’amélioration continue est un changement d’organisation et de culture, résume Laurent Papet. C’est une nouvelle façon de penser son travail et pour les collaborateurs, de découvrir le sens de leur travail. Chez Tech Data, la symétrie des attentions (entre client et employé, NDLR) est une philosophie d’entreprise et cette démarche en est un des maillons. » Autrement dit, le Lean améliorerait la satisfaction du client en améliorant celle des employés, et vice-versa. Et le DRH de rappeler que ce n’est surtout pas une révolution. « Ce serait même le meilleur moyen de conduire à l’échec. »